Où sont passés les « likès » de 1906 à 1919 ?

Les lois de laïcisation de l’enseignement, au début du 20ème siècle, avaient surtout pour objectif de supprimer l’enseignement assuré par les congrégations religieuses. C’est pourquoi on parle généralement de lois anti-congréganistes.

Les lois anti-congréganistes

La loi du 1er juillet 1901 et le Collège Saint-Yves

La loi du 1er juillet 1901 exige d’une congrégation qu’elle soit autorisée, sinon elle devient illicite. Les membres d’une congrégation non autorisée ne peuvent enseigner.

Un certain nombre de ces congrégations feront des demandes d’autorisation. Mais, le 18 mars 1903, la Chambre des députés les refusera toutes. Seules peuvent se maintenir, mais avec sursis, les rares congrégations qui sont autorisées et parmi elles, celle des Frères des Écoles Chrétiennes qui enseignent au Likès.

Le collège Saint-Yves, fondé par la Congrégation de l’Immaculée Conception de Saint-Méen (Ille-et-Vilaine), avait eu sa première rentrée le 4 octobre 1898.

Emblème des Pères de l’Immaculée Conception

La congrégation n’était pas « autorisée ». Aussi, le 11 avril, jour du Samedi Saint de la Semaine Pascale 1903, M. Terrene, commissaire de police de Quimper, se présente au Supérieur de Saint-Yves et lui notifie l’obligation de fermer l’école avant le 31 Juillet.

Les bâtiments qui venaient d’être construits n’appartenant pas à la Congrégation mais à une association propriétaire (choix judicieux) ne sont pas confisqués et peuvent servir à d’autres enseignants « libres ». Les prêtres du diocèse, dirigé par Mgr Dubillard, n’appartenant pas à une congrégation remplacent les Pères de l’Immaculé Conception.

L’école ne s’arrête pas.

Le 6 Octobre 1903, la rentrée à l’École Saint-Yves se fait avec une nouvelle direction :
Directeur titulaire légal : M. Rospars, chanoine honoraire ;
Supérieur : M. l’abbé L.-M. Corre, licencié ès Lettres, ancien professeur de rhétorique ;
Sous-directeur et professeur de philosophie : M. l’abbé Uguen, licencié ès lettres ;
Rhétorique : M. l’abbé E. Duval, licencié ès lettres ;

Les classes enfantines sont confiées à des institutrices munies du brevet. Ce sont également des maîtres laïcs qui donnent des leçons spéciales de dessin, de musique (violon, piano), d’escrime et de gymnastique.

La loi du 7 juillet 1904 et Le Likès

La loi du 7 juillet 1904 impose la fermeture dans un délai de 10 ans de toutes les écoles relevant d’une congrégation qui était jusque là autorisée. « Le délai de dix ans, qui ne constitue pas un droit pour les congrégations, n’a d’autre but que de répartir sur une période de dix années les dépenses résultant pour l’État et les communes de l’ouverture de nouvelles écoles ou classes publiques. » (circulaire d’application)

Le Likès, cette fois-ci est concerné. Mais c’est un grand établissement de plus de 700 élèves qu’il va falloir replacer dans d’autres établissements.

Blason figurant sur une carte présentant le pensionnat vers 1900. Signum Fidei est la devise de l’Institut des Frères des Écoles Chrétiennes.

Le Likès ferme son Noviciat, en janvier 1904, et son Scolasticat, en août de la même année. Il n’y a plus d’avenir pour les Frères enseignants en France. Mais à l’étranger, où ils sont déjà très présents, les besoins sont immenses. En février 1905, un noviciat est ouvert à Guernesey, pas très loin de Saint-Malo, mais en territoire britannique.

Le 14 juillet parait le décret de fermeture du Likès pour le 1er septembre. L’établissement, construit, à partir de 1860, par les Frères et appartenant donc à la Congrégation, sera mis en vente par l’État comme « bien congréganiste » avec comme liquidateur M. Edmond Duez [1].

Annonce parue dans « Le Finistère » du mercredi 1er mai 1907

Les écoles libres à Quimper en 1907

Où vont aller les enfants qui venaient au Likès ?

Beaucoup de solutions existent sur Quimper où des écoles primaires libres remplacent les écoles de Frères ou de Religieuses. Pour les plus grands, on adapte aussi les formations pour de futurs agriculteurs, ouvriers, commerçants, fonctionnaires qui n’ont pas besoin de connaître le latin enseigné dans les lycées classiques.

La Semaine religieuse du diocèse de Quimper et de Léon présente un état de l’enseignement catholique, à Quimper, à la rentrée 1907. Quelques extraits du progrès du Finistère complètent les informations.

L’école de la rue de Brest

« Une école libre de garçons ouvrira, nous l’espérons à la fin du mois, rue de Brest. La déclaration en a été faite le 27 Août dernier. Des maîtres expérimentés y continueront l’œuvre des chers Frères de Saint Jean-Baptiste de la Salle, qui ont dirigé cette école pendant plusieurs années, y faisant le plus grand bien. »

Le Progrès annonce la rentrée pour le 16 septembre
« Dès les premiers jours, une division spéciale sera formée pour les élèves pourvus du Certificat d’Études. A partir du 1er Octobre, une classe particulière, qui recevra des enfants de 6 à 9 ans, sera jointe à l’école. »

L’école Saint-Joseph, ancienne route de Douarnenez

« L’école Saint-Joseph autrefois tenue par les Frères, rouvrira comme école primaire chrétienne libre, le 1er Octobre prochain, sous la direction de l’Abbé Jaouen. » M. François Jaouen, est un prêtre, né à Quimper, le 11 Octobre 1873.

L’institution Saint-Vincent de Paul

Le 18 mai 1907, devant le tribunal civil de la Seine, au Palais de Justice de Paris, a eu lieu la « vente avec enchères publiques, en un seul lot (l’établissement entier sauf la prairie), d’une Grande Propriété, sise à Quimper (Finistère), rue de Kerfeunteun  ».

M. Eugène Bolloré, président de l’Amicale des anciens élèves, l’achète pour 62 000 f + les frais (l’argent de cette acquisition aurait été fourni par les Frères).

Les locaux sont loués à Mgr Dubillard, pour y établir le « petit séminaire » chassé de Pont-Croix. Les Frères anciens restent dans la partie qu’ils occupaient au Sud, côté Champ de Foire.

« L’Institution Saint-Vincent de Paul, Quimper (ancien Likès) s’ouvrira le jeudi 3 Octobre. Tous les élèves devront être à l’école avant 6 heures du soir. »

Le Progrès du Finistère précise le contenu des enseignements adaptés aux anciens « likès » :

« L’étude du latin commencera en 6e, mais les élèves qui ne feront pas de latin, trouveront encore un enseignement adapté à leurs besoins et qui comportera l’étude plus soignée du français, de l’arithmétique, du droit usuel, de l’agriculture. »

L’école Saint-Yves

« La rentrée des classes aura lieu le mardi soir, 1er Octobre pour les internes ; le mercredi matin, 2 Octobre, pour les demi-pensionnaires, externes surveillés et libres…

… Mais il est utile de rappeler à certaines familles, qui veulent diriger leurs enfants vers les études commerciales, que la section des sciences-langues vivantes, forme à la fin de la troisième un enseignement spécial et complet, après lequel l’élève, âgé de 14 ou 15 ans, muni de ses connaissances en français, en sciences, en histoire et géographie, en langues étrangères, en droit usuel et en comptabilité, peut se présenter en toute sûreté, aux écoles de commerce. »

L’accueil à l’extérieur de Quimper

L’école chrétienne pour garçons de Kerfeunteun

La Semaine Religieuse du Diocèse de Quimper et de Léon, du 21 octobre 1910, relate la bénédiction d’une nouvelle école à Kerfeunteun.

« La chrétienne paroisse de Kerfeunteun possède, depuis longtemps, une école de filles, toujours fidèle aux traditions laissées par les bonnes Soeurs Blanches qui l’avaient fondée et qui la rendirent si florissante…

Mais il n’y avait pas d’école chrétienne pour les garçons, et cependant le besoin s’en faisait sentir, surtout depuis que le renvoi des Frères de Sainte-Marie a privé toute la région – mais spécialement Quimper et les communes suburbaines – d’un établissement hors pair. Réparer ce malheur dans la mesure du possible, du moins en ce qui concerne sa paroisse, c’était le désir constant de M. le Recteur de Kerfeunteun.

Ce « rêve », ainsi qu’il appelait son cher projet longtemps caressé et mûri, est aujourd’hui, grâce à son zèle actif et persévérant, devenu une réalité. L’école Saint Charles, bâtie sur les plans de M. le chanoine Abgrall, architecte, s’élève au haut de la colline dominant la vallée du Stéir, belle, solide et spacieuse. Fréquentée déjà par plus de 60 élèves, elle deviendra rapidement -on ne peut en douter – de plus en plus prospère, sous la direction du jeune prêtre à qui elle est confiée. »

Le Directeur est M. Le Gall, jeune prêtre de Rosnoën qui est assisté d’un autre instituteur, M. Le Moan, jeune prêtre de Ploaré.

En janvier 1912, l’école Saint-Charles sera dotée d’un pensionnat.

Article de la Semaine Religieuse du 26 Janvier 1912

L’école chrétienne de garçons de Saint-Evarzec

Les relations entre le Likès et l’école des Frères de Saint-Evarzec ont toujours été très étroites. En avril 1944, au moment de l’arrestation du Frère Joseph Salaün, Louis Bengloan, Visiteur des Frères était réfugié à l’école Saint-Louis de Saint-Evarzec et les petits-novices l’avaient rejoint à la fin de l’année scolaire [2].

« L’école libre des garçons, au début un simple externat, s’est vu adjoindre un internat, à la suite de la sécularisation et de la fermeture du Likès, de Quimper. Le nombre toujours croissant d’élèves avait vite rendu insuffisante la première maison. Commencée le jour de la Sainte-Anne 26 Juillet 1910, une annexe, plus grande que la maison principale, vient de s’achever.

C’est ce nouveau bâtiment que l’on bénissait, dimanche. La cérémonie a revêtu le caractère de la plus grande solennité, pour le pays. La musique de Kerfeunteun y a contribué pour une large part. »

Pour les petits quimpérois à la recherche d’une école, « Les communications entre Quimper et Saint-Evarzec, sont très faciles : le courrier de La Forêt-Fouesnant y passe chaque jour et un commissionnaire dessert Saint-Evarzec, chaque jour. »

Le pensionnat de Guernesey

Dans son numéro d’août 1909, le progrès du Finistère fait connaître, à ses lecteurs, l’existence d’un pensionnat dirigé par les Frères des Écoles Chrétiennes, aux Vauxbelets, à Guernesey, île de la Manche. « Une ruche laborieuse dont les essaims – par un sectarisme aveugle – furent chassés de France. »

L’école assure un « enseignement moderne et commercial, avec section d’enseignement agricole théorique et pratique. Un enclos de 16 hectares, dans une magnifique situation, un bétail nombreux et sélectionné, trois vastes jardins potagers et fruitiers, cinq grandes serres servent de champ d’expérience aux élèves agriculteurs, ainsi qu’un laboratoire et un cabinet de physique.

Dans les différents cours, l’enseignement est donné en anglais et en français.

Des examens, dont les premiers ont eu lieu cette année devant une commission déléguée par la Société des Agriculteurs de France sont établis pour couronner les études agricoles. »

Le pensionnat des Frères à Plymouth

En juillet 1911, le Progrès du Finistère annonce l’ouverture, en Septembre, à Plymouth, d’un Pensionnat qui « recevra des élèves de France et d’Angleterre. »

Contrairement au pensionnat des Vauxbelets, destiné aux agriculteurs, la nouvelle école prépare aux carrières commerciales.

Annonce du Progrès du Finistère du 29 juillet 1911.

« L’Enseignement comprendra la préparation à divers examens qui n’exigent pas la connaissance du grec et du latin. On y développera surtout les études commerciales et la pratique de la langue Anglaise, très utile aujourd’hui dans les relations internationales.

Pour plus amples renseignements, s’adresser au Frère Donan Anselme [3], rue Kerfeunteun, Quimper. »

Notes

[1] Edmond Duez, n’ayant pas eu une attitude irréprochable(!) comme liquidateur, sera condamné à douze ans de travaux forcés, le 21 juin 1911

[2] Dans une note du Frère Clodoald (Louis Bengloan) du 7/11/1940, la conduite à tenir en cas d’occupation plus complète du Likès prévoyait déjà l’évacuation du petit Noviciat à Saint Evarzec

[3] Directeur du Likès à la fermeture de 1906. Pour l’état-civil, il s’appelait Jean Louis Hénault, originaire de Plonéis et oncle du Frère Joseph Salaün

29 juillet 2022